La création de nom ou l’art de se projeter

La création de nom ou l’art de se projeter

Une bonne création de nom ne dépend pas seulement de la qualité des propositions, elle est aussi tributaire de la capacité du décideur à choisir le mot qui a le potentiel de se transformer en marque. Pour cela il faut être visionnaire, audacieux et laisser son imagination prendre le pouvoir. Ce n’est pas donné à tout le monde. Dans cet article, je citerai quatre de mes clients qui ont, selon moi, réussi à se projeter. Ils ne le regrettent pas. Leur nom de marque leur a permis de développer leur business au-delà de leurs espérances.

Orange, parmi les pionniers

Nous sommes en 1994. Le champ sémantique de la téléphonie est dominé par des noms de marque comprenant le radical « com » : France Télécom, British Télécom, Deutsche Telecom, Belgacom, Telecom Italia… Faisant fi de la concurrence et suivant son instinct, l’entrepreneur Hans Roger Snook crée une
nouvelle marque de téléphonie mobile. Il l’appelle Orange. À l’époque, on se gausse, on ne donne pas cher d’un nom « qui n’a pas de rapport avec la choucroute ».

Hans Roger Snook explique qu’avec le mot Orange, il entend véhiculer des valeurs d’optimisme et d’énergie. Il ne faut pas prendre le mot au premier degré, explique-t-il, et laisser le temps désémantiser (perdre sons sens original) le mot pour qu’il devienne une marque. Peu d’observateurs l’ont compris. En
2000, quand je demandais aux participants d’un remue-méninges de me dire à quoi il pensait quand je leur montrais la couleur orange, la majorité d’entre eux répondait : un agrume. Si je fais le même test aujourd’hui, on s’exclame « la compagnie de téléphonie mobile ».
Snook s’était projeté. Snook a gagné.

Les quatre cas concrets ci-dessous illustrent l’importance de se projeter en création de nom. Imaginer ce qu’un mot peut devenir sur le long terme, tel est le secret d’une bonne création de marque.

Elles ont pris pour Perpète

Nathalie Parmentier et Sandra Héteau sont deux entrepreneuses issues du secteur de l’habillement. Elles décident de créer une marque de vêtement à destination des 0-6 ans, sans obsolescence programmée. Des habits qui durent longtemps, voilà l’une des promesses. Quand je leur propose Perpète, elles savent qu’une connotation négative existe, qu’on peut penser à la prison à vie.

Mais elles réussissent à se projeter et identifient l’intérêt d’un mot qui a des sonorités enfantines (choupette, galipette…) et qu’on retient facilement. Et puis, ne dit-on pas quand on vient d’avoir un bébé, qu’on a pris pour perpète ?

17h10, l’heure des braves

Amélie Delacour et Caroline Rey ont décidé de créer une marque de tailleurs féminins le jour où, en route pour une réunion, elles déploraient la difficulté pour une femme de garnir son garde-robe. Leurs tailleurs seraient de toutes les sorties, professionnelles ou personnelles. 17h10 traduisait bien cette polyvalence. Elles ont eu le mérite de voir qu’un horaire pouvait devenir une marque. Surtout, elles ont compris la richesse de la marque en termes de branding et de communication.

Napaqaro, faire bouger les lignes de la restauration

Le brief était clair : créer le nouveau nom du Groupe Buffalo Grill en dépoussiérant le secteur de la restauration. La situation était idéale : Jocelyn Olive et Pierre Lourties étaient ouverts à l’originalité. Attention, il faut que différence et pertinence aillent de pair. Si Napaqaro fonctionne c’est parce qu’il reprend les codes de la gastronomie populaire (nappe à carreaux), rappelant Courtepaille, et que son écriture lui donne un côté amérindien qui rappelle l’univers de Buffalo Grill, l’autre enseigne du groupe. Le nom a fait le buzz et le nombre des franchisés a augmenté. Nos décideurs ont vu juste.

Punition, ils l’ont bien méritée

Si on s’arrête au premier degré, on ne choisit pas Punition pour un nom de bière. Il est là l’art de se projeter : comprendre qu’avec le temps, le mot peut devenir autre chose et s’imposer sur un terrain d’expressions plus vaste. Avec la signature « vous l’avez bien méritée », le nom Punition se teinte d’humour et se débarrasse de son caractère anxiogène. Là encore Gregory Debuigne et Anthony Dubroc ont vu comment le nom pouvait être modelé avec l’univers visuel adapté.

Les meilleurs noms de marque ont été choisis par des décideurs et des entrepreneurs qui ont su se projeter et passer outre leurs a priori et leurs préjugés. Pour cela, il faut avoir l’esprit libre, ne pas se laisser influencer par l’air du temps et savoir analyser le potentiel d’un mot. Cet état d’esprit, cette manière d’envisager le monde, c’est le dramaturge Alejandro Jodorowsky qui l’a résumé le mieux : « Un oiseau né en cage croit que voler est une maladie ».

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